12/10/2012

LETTRE FMR N°13, Prix François-Alphonse Forel



Lettre de l’FMR N° 13 
Prix François-Alphonse Forel
IIIème championnat de ricochets du Léman, Château des jeux, Musée suisse du jeu, La Tour-de-Peilz, 9 septembre 2012

Le nom du tournoi inscrit l’action de la FMR dans la continuité de la limnologie, la science des lacs ou « océanographie des eaux douces », fondée par François-Alphonse Forel (1841-1912), originaire du canton de Vaux. 10 années durant, Forel a consacré au Léman une étude de 1900 pages. Dix années à explorer les eaux du lac, les rives et tout ce qui touche de près ou de loin au site, saisissant le milieu, les relations, l’ensemble, bref, se plaçant à un niveau global que ses successeurs appelleront « écosystème ». Nous avons donc décidé de lui rendre hommage cette année, centenaire de sa mort, à l’occasion du IIIème championnat de ricochets du Léman. C’est un hommage mais aussi une volonté de développer des relations plus précises avec la limnologie, notamment en se rapprochant de l’Institut Forel, rattaché à l’université de Genève, qui poursuit, dans le domaine de l’environnement, les voies ouvertes par le fondateur.



Le Prix Alphonse Forel s’est déroulé en trois temps :
D’abord, selon le protocole mis au point ces dernières années, nous utilisons, pour la compétition, des palets d’argiles fabriqués sur place. Ces « galettes » sont plus efficaces et surtout nous évitent de longues pérégrinations ne permettant pas toujours de trouver suffisamment de pierres plates et arrondies. Pour l’entraînement, nous utilisons les galets ramassés sur les plages et les joueurs sont libres d’apporter « leurs » pierres. Nous aimons le geste de ceux qui se baissent et fouillent les rives à la recherche du galet adéquat, mais en fabriquant nos galettes, nous essayons d’apporter une autre dimension au jeu. La plupart des joueurs, qui ont le choix, préfèrent maintenant utiliser les palets d’argile. Et il y a, au-delà de l’efficacité, quelque chose qui a à voir avec l’absurde, avec la sculpture et avec la perte. Nous aimons l’idée de fabriquer un objet demandant de longues heures de travail et qui ne servira pourtant qu’une seule fois, pour disparaitre en quelques secondes.
Le 8 septembre 2012, nous - Sarah Venturi et Cyril Jarton, amants aimant le Léman et membres fondateurs de la FMR - avons récupéré les 60 kg d’argile commandés au régisseur du Château. Les pains de 10kg sont d’abord transformés en boudins, grâce à une machine spécialement conçue pour cet ouvrage et qui nous a été offerte par le céramiste Jean-Louis Raymond. Nous produisons des boudins de trois calibres qui, une fois tranchés selon un espacement de 1 cm de large, permettent d’obtenir des galettes de différents diamètres - « grand », « moyen », « petit » - adaptables aux tailles des mains des joueurs. Les bords des galettes encore meubles sont façonnés selon leur dureté à la main ou à l’aide d’un marteau. Nous les estampillons du nom de « FOREL », à l’aide de tampons fabriqués pour la circonstance. Exposées à l’air libre, les galettes se durcissent pour devenir des projectiles à ricochets. La fabrication des 500 galettes démarre donc le 8 septembre après-midi, dans le haut jardin du Château face au lac, elle se poursuit en public le 9 septembre jusqu’au début du tournoi, sur le stand de la FMR.





Le 9 septembre 8h00 – soleil, eau calme, nous installons notre stand sur la digue au-dessus de la petite plage, accueillis par un cygne blanc. Sur le chemin qui mène jusqu’à nous depuis le château, longeant le lac, des sous-verres sont disposés en ligne, retraçant nos aventures : le championnat du monde de ricochets à Paris en 2011 avec Russell Byaers ou le premier championnat du Vaucluse en 2012 sur le lac de Saint-Chamand, dont nous avons entrepris le nettoyage et la restauration. En contrepoint, viennent s’ajouter des articles de journaux traitant du mouvement anti-barrage sur la Narmada, de la pollution de la Yamuna aux pieds du blanc Taj Mahal, d’un continent de plastique dans l’océan... Notre épopée se déroule sur les eaux du monde et nous voulons en découdre avec les nouveaux cyclopes du commerce et de l’industrie sauvage, couler les usines flottantes qui pillent le fond des mers, nous avançons devant les centrales nucléaires comme Achille sous les remparts de Troie.
C’est la fête des jeux, une institution en Suisse, qui attire 1500 à 2000 personnes chaque année. Nous avons mis nos badges « Fédération Mondiale de Ricochet ». A côté de nous, il y a le stand de « Questions pour un Champion », puis les boissons, saucisses, etc... Sous des tentes, on peut jouer au Go, aux Echecs, au Poker, au Majong, à l’Awalé, à la Toupie, au Croquet, au Pharaon, au Billard, à la Chouette, aux Catapulte castello, aux Campanine, à l’Impro de rôles, au Scrable, au Croquet, au Houla hop, à la Bassette, à la Pêche aux canards, au Backgammon, au Château des seigneurs, au Jeu du mollet, au Kubb, aux Énigmes. On peut rencontrer des créateurs de jeux mathématiques, des fabricants de casse-têtes ou de jeu de sociétés, voir le fameux « Toy Man » avec son chapeau de Cowboys et ses jeux en bois jurassien. Cesco Reale, l’organisateur, nous fait poser avec notre trophée « le galet d’or » , pour une photo souvenir. Les premiers visiteurs sur le stand arrivent vers 10h00, dans la foulée des coureurs du matin, des promeneurs, des baigneurs habitués de la petite plage et de la digue. Les galettes se multiplient sur les tables, accueillent le tampon, sèchent, attendent l’envolée. Des séances d’entrainement commencent avec une grande rousse élégante, le ricochet c’est chic. Des enfants et encore des dames, tous en ligne sur la plage, à chercher le bon angle et à compter les sauts. Des familles, des tout petits, nous leur disons que la première étape c’est « le plouf », quand le caillou coule à pic sans faire de rebond. Quand ils se sont entraînés avec les galets naturels, ils peuvent tester un projectile de compétition. C’est l’occasion de comparer galets du lac et galettes FMR qui deviennent naturellement dans la bouche des joueurs des « FOREL ».









14h00 – soleil haut dans le ciel, forte chaleur, eau toujours calme. 39 joueurs sont inscrits dont 10 femmes - 20 joueurs dans la catégorie enfants (jusqu’à 13 ans) et 19 joueurs dans la catégorie adulte (à partir de 13 ans). Plusieurs sont venus jouer en famille - les Calabretta, les El Lkhalifa, les Iriarte, les Sébastien, les Planchon. Sont présents les deux champions des années précédentes - Jean-Gabriel Eynard (champion 2011) et Patrick Chollet (champion 2010), ainsi que le finaliste 2010, Karim Elkhalifa. Ulrich Schaedler, directeur du Musée suisse du jeu, nous honore également de sa présence.
Un temps d’entraînement est laissé à chacun avant le début des épreuves, puis le tournoi se déroule en quatre rounds, une demi-finale et une finale[1]. Le public est attentif, chaleureux, ils ne bronchent pas du fait que nous monopolisons la plage, ils sont toujours quand-même un peu surpris : « un tournoi de ricochet... ah oui ? Les pierres qui rebondissent sur l’eau ? Excellente idée ! Bravo ! ». Personne ne nous a encore dit que c’était complètement con.
Le tournoi commence vers 14h30. Les lancers se succèdent par série de trois, chacun sa danse. Les rebonds sont comptabilisés par deux arbitres – qui sont aussi les fabricants de galettes et organisateurs du tournoi - afin d’assurer le bon comptage des points. En cas de litige, on fait la moyenne des résultats obtenus par chacun .




Avec nonchalance, Karim Elkhalifa avance au bord de l’eau, et, à peine le Forel a-t-il touché une première fois la surface du lac, il sait déjà qu’il ne reproduira pas sa performance d’il y a deux ans. Impossible de décrire chaque geste, mais celui d’Amandine Ferré mérite qu’on s’y attarde : courbée en deux, tout en douceur, elle lance son Forel près du bord et, à chaque tir, ses petits bonds font des scores de 7 ou 8, ce qui lui permet d’aller aisément jusqu’au 4ème round. Le champion 2010 Patrick Chollet intègre le tournoi au 3ème round, mobilisé par le stand de sa ludothèque. Jambes fléchies au ras du sol, son corps ploie en arrière, jonc dans le vent s’étirant parallèle à l’eau comme l’élastique d’un lance-pierre. Il quitte le tournoi à la fin de la demi-finale. Jean-Gabriel Eynard, champion 2011, se tient droit sous son chapeau, dans une élégance naturelle, les pieds ou un genou dans l’eau pour obtenir un angle plus rasant. Sous l’impulsion d’un geste sûr, ample, fluide et souple, le galet s’élance chez lui aussi avec vitesse pour parcourir en quelques rebonds de longues distances. Jean-Gabriel ne dépasse pas cette année le 4ème round. Il quitte le jeu en beauté, par un lancer mémorable du Galet d’or reçu en 2011 alors qu’il remportait le titre du IIème Championnat de ricochets du Léman. Le Galet d’or s’envole alors au-dessus de l’eau, dardant une dernière fois sous le soleil pour s’offrir au lac. Sergio Calabretta, découvert cette année, est un homme d’une cinquantaine d’années. Il blague, mais c’est pour mieux élaborer sa stratégie, observant attentivement les tirs des autres joueurs, choisissant bien ses Forel, attendant que l’eau soit tout à fait calme et se concentrant longuement pour chaque tir, ce qui lui permet de remporter la demi-finale contre l’ancien champion Patrick Chollet.
Les remous créés par quelques bateaux de la flotte Belle-Epoque de la Compagnie Générale de Navigation interrompent brièvement le tournoi.
A partir du 4ème round, le niveau monte, la pression aussi, la compétition est tendue. Dans la catégorie enfant, Léo Pretti, un blondinet à casquette, réalise des tirs stupéfiants qui vont très loin et comptabilisent à chaque fois 10 ou 12 rebonds. Il réalise le record du Léman pour les moins de 13 ans, avec 15 rebonds. À ses qualités de lanceur quasi spontané – il s’est révélé pendant les entraînements de la matinée – s’allie une concentration manquant à ses adversaires qui ne résisteront pas à la pression des demi-finale et finale. Chez les adultes, la finale oppose Sergio Calabretta à Vincent Favre. Vincent, qui jusqu’à présent a franchi discrètement toutes les étapes, avance sans faire de vague, il paraît un peu fluet, hésitant, inquiet, il questionne sans cesse les arbitres... À mesure qu’avance la journée, le Léman est plus agité et Sergio, qui jusqu’à présent avait attendu le bon moment pour tirer, est gêné par les vagues ; il manque un premier tir et se précipite sur le second... Vincent reste régulier. Il gagne. Il réalise le record du Léman avec 17 rebonds. Il a découvert le jeu au mois de juillet, à Cadaquès, passant une journée à lancer des pierres avec les catalans, considérés de longue date comme des maîtres du ricochet.

Sarah Venturi § Cyril Jarton